Un ordinateur dans la classe, pour quoi faire ?
Il y a eu une période où ceux qui s'intéressaient aux applications
pédagogiques de l'informatique nous demandaient de définir l'utilisation de l'ordinateur à
l'école de Rustrel. Finalement, à force de répondre, un article est né. Il a même
été publié dans le n°2 du magazine "Le Multimédia des Enfants" (éd.
Go-Multimédia). Il figure également sur le site pédagogique de Philippe Tassel, L'Encrier .
Aujourd’hui commencent à apparaître des logiciels éducatifs
vraiment intéressants pour les élèves. Mais de la préhistoire (1986 : plan Informatique
pour Tous) au multimédia (1996 : généralisation du cédérom), ces logiciels n’étaient
pas toujours très attrayants. Assez rapidement, nous n’avons utilisé dans la classe que trois types
de programmes : des traitements de texte, des logiciels de création graphique et, pendant les moments de
temps libre, des jeux d’Aventure. Depuis avril 98, la classe a pu acquérir un PC Multimédia et accéder
à Internet. Cela a ouvert d’autres possibilités.
On ne s’étonnera guère de l’utilisation des deux premiers types de programmes. Mais, enfin, quoi, des jeux à l’école ? Est-ce bien sérieux ?
Cela mérite en effet quelques explications. Les jeux sur ordinateurs, surtout quand ils sont bien choisis, peuvent être un puissant outil pour le raisonnement intellectuel.
1. Une mise en forme professionnelle.
Les programmes utilisés en classe pendant les heures
de cours - les "séquences pédagogiques" - sont le traitement de texte qui permet de mettre
en forme nos articles pour le journal scolaire et les logiciels de création graphique.
Le traitement de texte
On a beaucoup parlé des avantages : plus de problème de rature, on corrige les erreurs sans trace à l’écran. On peut remanier son texte, utiliser le <<couper-coller>>, le dictionnaire orthographique... Enfin on peut lire un texte sans le filtre de la <<mauvaise présentation>>. Tout le monde a la même écriture à l’écran !
Et quand le texte est publié pour être communiqué à un public qui dépasse celui de la classe, on comprend qu’on va être pris au sérieux. Je ne vais pas revenir sur tous les avantages de l’imprimerie révélés par Freinet. Aujourd’hui, même si tous les enseignants n’appliquent pas à la lettre sa pédagogie, tous sont convaincus de l’intérêt de la publication d’écrits.
Le clavier est cependant un frein : il faut bien tout le cycle 3 (CE2, CM1, CM2) pour qu’ un élève soit capable de taper une page manuscrite entière (20 lignes) en moins de vingt minutes. L’apprentissage du clavier n’est pas au programme, et un élève n’a à peu près que deux fois vingt minutes dans le mois pour taper un texte. L’objectif n’est pas d’enseigner la dactylographie dès l’école primaire, d’autant plus que dans quelques temps l’ordinateur sera sans doute capable de reconnaître l’écriture manuelle. La reconnaissance vocale est à la mode, mais n’est guère pratique dans une classe.
Les logiciels de dessin
Là aussi, le premier intérêt qu’y trouvent les enfants est la qualité de la présentation.
Chic, on ne voit plus les coups de crayon quand on colorie à l’ordinateur ! Cependant, dessiner avec la souris est extrêmement difficile, et pour moi la meilleure solution, quand il faut produire des images numériques, c’est de demander aux enfants de faire un dessin en noir et blanc sur papier. Celui-ci est alors numérisé et sera mis en couleur avec l’ordinateur. On peut faire de magnifiques dégradés d’ un seul clic de souris, gommer sans trace, revenir sur des erreurs, agrandir, réduire, inverser, dupliquer, déformer...
Il est très intéressant de demander aux élèves de dessiner en noir et blanc : depuis la maternelle, ils sont habitués à la couleur, et pour certains c’est une nouvelle forme d’expression. D’autant plus qu’on leur demandera de travailler d’abord au crayon, puis d’encrer ensuite leur oeuvre, comme des pros ! Le journal scolaire de l’école est photocopié en noir et blanc, la couleur n’est pas possible, il faut donc faire avec. Mais là encore l’ordinateur permet d’utiliser certaines trames qui donnent de jolis à-plats gris.
Les logiciels éducatifs ont fait beaucoup de progrès. Beaucoup sont vraiment élaborés à partir d’une réelle démarche pédagogique. Autrefois, on avait plutôt l’impression qu’un éditeur avait mis en chantier un objet destiné d’abord à être vendu aux parents, un cahier de vacances sur ordinateur, mais pas vraiment un outil pédagogique.
Il y a aussi tous les cédéroms à vocation encyclopédique, qui prétendent remplacer les dictionnaires ou les livres par une présentation <<plus vivante>> avec des images qui bougent et du son.
Les premiers peuvent, comme les cahiers de vacances, permettre de travailler à la maison d’une autre façon qu’à l’école, et peut-être de comprendre grâce à une nouvelle présentation. Cependant, beaucoup de ces logiciels ne sont que des cahiers d’exercices enrobés de couleurs, de sons, d’animations. Ils entraînent à faire des divisions, ils n’expliquent pas la technique de l’opération. On peut penser que ces logiciels sont réellement productifs si un parent assiste l’enfant, participe avec lui aux activités. Mais on reste sceptique sur l’efficacité des devoirs à la maison quand l’enfant est seul. Les activités préférées de l’enfant sont souvent celles qu’il fait avec son papa ou sa maman. Et même avec un ordinateur multimédia, ce n’est pas très motivant de s’entendre ordonner : <<Je suis occupé, file faire tes devoirs dans ta chambre et ne reviens que quand tu auras fini>>.
Les éditeurs ont fait de gros progrès en pédagogie. Entendra-t-on un jour une maman dire : <<Arrête un peu tes exercices de grammaire, viens manger, ça va être froid !>>
Il faudrait pour cela que les logiciels éducatifs rapportent plus d’argent que les jeux vidéo !
Pour ce qui est des cédéroms encyclopédiques, ils peuvent parfois s’adresser aux enfants mieux qu’un livre. Impossible de lire un texte de vingt lignes sur un écran pour un enfant. Alors les logiciels les plus réussis sont ceux qui savent le mieux transmettre des connaissances par des images et du son. <<C’est comme La Cinquième >>, a-t-on entendu des élèves dire devant une animation MPEG extraite d’un cédérom sur les animaux.
Cependant, les enfants détestent rester passifs. Ils recherchent toujours l’aspect ludique, ils veulent jouer, ils recherchent l’interactivité. Pas question de feuilleter les pages d’un beau livre numérique, on s’en lasse très vite. On le regarde une fois, pas toujours deux. Pour que l’enfant y revienne, il faut un jeu, un quizz, des animations à déclencher avec la souris, des mystères à découvrir.
Apparemment, le cédérom n’a pas du tout la même fonction que l’encyclopédie : cette dernière reste un livre de référence dans la bibliothèque. Le cédérom, pour les enfants, reste un jouet, et, dans le meilleur des cas, une illustration. Ils n’y ont recours que si le maître les y incite. Concilier le jeu avec l’acquisition de connaissances, c’est le défi auquel doivent répondre les éditeurs de logiciels <<ludo-éducatifs>>.
3. Le jeu, une démarche hypothético-déductive
Tous les jeux, même les jeux de "baston" (combats entre personnages) ou les <<shoot’em’up>> (<<butez-les tous>>, jeux de tir sur tout ce qui bouge à l’écran) les plus brutaux développent cependant les réflexes et certaines facultés mentales chez l’enfant. Cependant, il y a des jeux qui obligent plus que d’autres à réfléchir, alors autant privilégier ceux-là à l’école.
Ce sont essentiellement des jeux de stratégie et des jeux d’Aventure.
Les premiers demandent la gestion d’un environnement confronté à différents problèmes. Ainsi dans Sim City, il s’agit d’être le maire d’une ville ; il y a aussi de nombreux jeux portant sur le commerce, l’économie ou l’expansion guerrière. Le joueur doit en permanence anticiper ses actes, prévoir les conséquences induites, rechercher la meilleure action possible.
Les jeux d’Aventure, eux, sont des histoires interactives. Le joueur manipule un personnage qui doit atteindre un objectif, et se retrouve en permanence confronté à des obstacles qui sont autant d’énigmes à résoudre.
Il y a également des jeux de réflexion comme les échecs, le reversi, le solitaire... Mais autant jouer "en vrai" plutôt que sur l’ordinateur, sauf quand on s’amuse à opposer la réflexion de la classe entière contre la machine (C’est un excellent moyen d’expliquer les règles et les tactiques des échecs à toute la classe).
Ces jeux <<intelligents>> obligent à mettre en oeuvre des démarches logiques non-mathématiques. Ils sont rassemblés ici sous le terme <<jeux de recherche>>.
Dans un jeu de recherche, conçu dès le départ pour être le plus captivant possible, le joueur est donc sans cesse confronté à des obstacles, des situations-problèmes qu’il lui faut résoudre pour progresser. Il est condamné à réussir, sinon il arrête de jouer. Pour cela, il doit formuler des hypothèses et les expérimenter. Il faut voir, pendant les récréations ou les inter-cours, cinq ou six enfants réunis autour de l’ordinateur, faisant fonctionner leurs neurones à plein régime pour trouver les solutions :
Ils formulent souvent plusieurs réponses possibles, et immédiatement opèrent un rangement par ordre de probabilité de réussite. Il leur faut sérier les possibilités, cela permet de gagner du temps. L’échec est une perte de temps.
On expérimente les hypothèses, et le programme donne aussitôt la réponse.
Il faut comprendre pourquoi l’expérience a échoué, tirer les conséquences des échecs, formuler une nouvelle hypothèse et expérimenter à nouveau. Tout cela très vite, car la récré ne dure pas longtemps !
On peut faire plusieurs constatations :
Day of the Tentacle, l'idéal !
Les jeux de recherche favorisent la mise en place d’un mode de pensée par essais et erreurs. Il faut privilégier ce raisonnement dans toutes les activités où l’élève est confronté à des situations de recherche. Il ne faut pas avoir peur d’essayer, ni peur de l’échec. Le véritable échec, c’est quand on ne cherche plus, quand on ne fait plus fonctionner son cerveau, quand on abandonne. Ceux qui remettent leur ouvrage sur le métier progressent très vite. On ne peut pas demander à tous les enfants de formuler toujours du premier coup la bonne réponse, de ne jamais se tromper, de fournir un résultat parfait. Celui qui est censé y arriver, c’est le maître. Mais même pour lui, ce n’est pas toujours évident d’être parfait !
Un site pour trouver des merveilles : Plein de jeux des années 90 : voyez les sections Réflexion et Stratégie : vous y retrouverez Les incroyables Machines du Pr Tim, Battle Chess, Sim City, Populous, Day of the Tentacle, et bien d'autres agitateurs de méninges ! |
Enfin, il faut l’avouer, <<l’ordinateur>> reste une activité plutôt fascinante pour les élèves. Dans la classe, les élèves qui finissent le travail en avance peuvent s’occuper avec diverses activités : il y a la bibliothèque, plutôt bien remplie en livres et revues, les échecs, les puzzles, le pantin anatomique, la loupe binoculaire, le dessin... et l’ordinateur. Celui-ci est très demandé. Les élèves peuvent explorer des cédéroms en silence, jouer à des jeux d’Aventure, parfois naviguer sur Internet. Bien sûr, le maître est là pour veiller à ce que ça ne soit pas toujours les mêmes, les meilleurs, qui puissent en profiter. Mais ce genre de motivation illustre une certaine philosophie de la vie : il y a du travail à faire, des problèmes de mathématiques à résoudre, des exercices de grammaire à effectuer, des textes d’expression écrite à rédiger. Ce n’est pas forcément rigolo, mais il faut le faire.
Et si ce travail est accompli vite et bien, on peut gagner quelques petits moments de loisirs, utilisables à notre convenance. Là, l’ordinateur est une puissante motivation, une carotte qui donne envie aux élèves de s’attaquer au travail le plus tôt possible, pour en finir le plus rapidement possible. Le maître doit veiller à ce que le travail ne soit pas bâclé : le travail n’est accompli que s’il n’y a aucune erreur, ce qui implique de nombreuses corrections (les erreurs sont signalées au crayon, le stylo rouge n’est utilisé que pour signifier que la mission a été correctement accomplie).
L’accès à Internet a ouvert beaucoup de possibilités nouvelles.
Il y a encore d’autres possibilités qui n’ont pas été employées, notamment les groupes de discussion et le dialogue en direct. L’école attend que le besoin s’en fasse sentir.
L’école a comme projet de s’intéresser à tous les aspects du patrimoine local et de les communiquer à tous ceux que cela peut intéresser, parents, enseignants, et pourquoi pas grand public.
Cet intérêt pour le village, son histoire, les environs a un réel intérêt pour les Rustréliens : le village a une grande partie de sa population qui est venue s’y installer depuis quelques années. Ces nouveaux venus sont heureux de connaître tout ce qui touche à l’histoire du village et à sa géographie : les charbonniers, l’extraction de l’ocre, l’usine de fer, les sentiers de randonnée... En 1998, l’école a travaillé avec le Parc Naturel Régional du Luberon pour faire connaître le vautour percnoptère, dont un couple niche dans les rochers derrière le village. Le Parc a pu équiper deux rapaces d’une balise Argos et les suivre ainsi au cours de leur migration dans le sud de la Mauritanie. Les élèves de l’école ont organisé une exposition, ont publié l’information dans leur journal scolaire, et sur le site Internet de l’école. Ce dernier a été visité par des spécialistes des rapaces, des enseignants et des gens simplement intéressés. Bien sûr, peu de monde encore accède à Internet. Mais il est prévu que tous les établissements scolaires puissent s’y connecter dans les trois ans. Ce serait alors l’occasion de découvrir les travaux souvent remarquables que les classes entreprennent chacune dans leur coin.
D’autre part, l’usage a montré qu’il était très simple de montrer le travail réalisé par les élèves grâce à ce moyen, beaucoup plus qu’en allant fouiller dans les cartons pour reconstituer l’exposition !
Et surtout, le travail réalisé par la classe peut être publié à peu de frais, ce qui autorise beaucoup d’actions pédagogiques : on n’est plus tributaire d’un accord de financement, on peut travailler à moindre coût et demander une aide financière pour communiquer le résultat du travail en-dehors de l’école.
Pour l’année à venir, les élèves vont s’intéresser aux arbres du village et aux carrières d’ocre. Ils vont correspondre avec les élèves de Mauritanie proches de la zone d’hivernage du percnoptère. Tout sera archivé et publié sous forme numérique, librement consultable, certainement sous la forme de pages html avec illustrations en couleur, publiées sur Internet ou sous forme d’un cédérom.
Ce n’est qu’après qu’on pourra demander un financement pour en éditer le contenu sous une forme plus directement accessible : journal, livre, plaquette, exposition...
A l’école de Rustrel on applique comme ailleurs les programmes scolaires : lecture, grammaire, conjugaison, mathématiques, sciences, histoire, géographie, dessin, sport, musique... Vous ne verrez nulle part "informatique" apparaître dans l’emploi du temps, comme n’apparaît nulle part "stylo", "cahier", "livre", "métallophone"... L’ordinateur reste un moyen, un outil pour réfléchir, pour découvrir, pour apprendre, pour communiquer. C’est un outil moderne et fascinant. Demain il sera peut-être aussi anodin qu’un poste de télévision : ce n’est pas pour cela qu’il sera moins utile à l’école.
Jacques Risso