120 Poésies Marc Alyn * Nuit dansante Huguette Amundsen * J'ai vu Charles Baudelaire * L'albatros Alain Bosquet * Une graine voyageait Bertolt Brecht * Mon général René-Guy Cadou * Avant-printemps Maurice Carême * Conciliabule * Les animaux du zodiaque * Le cheval * Le silence est d'or * Mon petit lapin * Une poule sur un mur Jean-Roger Caussimon * Les comédiens Blaise Cendrars * L'oiseau bleu * Iles Jacques Charpentreau * Au cirque * Diable ! * En voyage * La clé des champs * La fuyante * L'air en conserve * Les beaux métiers * Le chat et le chant * L 'île des rêves * Les larmes du crocodile * La lessive * Le lutin horloger * La recherche * Le soir indécis * La chevauchée * Balançoire Clod'Aria * La Toussaint Chantal Couliou * Crayons de couleur Charles Cros * Le hareng saur Lucie Delarue-Mardrus * L'automne Robert Desnos * L'oiseau du Colorado * Le pélican * Les hiboux Raymond Devos * Je hais les haies Charles Dobzynski * Le chou Paul Eluard * Liberté Jean de La Fontaine * La Cigale et la Fourmi * Le Corbeau et le Renard * Le Laboureur et ses Enfants * Le Lion et le Rat * Le Loup et l'Agneau * Le Loup et le Chien * Le Rat de ville et le Rat des champs * Le Renard et la Cigogne Paul Fort * Le bonheur * Complainte du petit cheval blanc Pierre Gamarra * Le cosmonaute et son hôte Philippe Garnier * Le vendeur de murmures Robert Gélis * L'autre Louis Guillaume * Cavalcade * Ulysse Eugène Guillevic * J'ai vu le menuisier Nazim Hikmet * Le globe Victor Hugo * Demain, dès l'aube * Les Djinns Anne-Marie Kegels * La fenêtre Tristan Klingsor * Les trois noisettes Christian Laucou * Le rat Michel Luneau * A vol d'oiseau Pierre Menanteau * Le premier vol de l'hirondelle Jean-Luc Moreau * Le cerf-volant * Si... Pierre Morhange * La pluie Gérard de Nerval * Le relais Patrice de la Tour du Pin * Divertissement René de Obaldia * Dimanche * Le secret Georges Perec * Déménager Jacques Prévert * Chanson de la Seine * Chanson des escargots qui vont à l'enterrement * Chanson pour les enfants de l'hiver * Déjeuner du matin * Le cancre * Pour faire le portrait d'un oiseau Raymond Queneau * Grenouilles * La leçon de choses * La cimaise et la fraction * Les mouches Werner Renfer * Clown Arthur Rimbaud * Le dormeur du val Jacques Roubaud * La licorne * Le roi lion Geneviève Rousseau * J'écris Jean Rousselot * Dit des oiseaux * Les pommes de lune * L'ordinateur et l'éléphant * Le coeur trop petit Maurice Rollinat * La biche Claude Roy * C'est tout un art d'être canard * Chevaux : trois ; oiseau : un * La clef des champs * L'enfant qui battait la campagne * Les corridors où dort Anne qu'on adore * L'escargot matelot * L'oiseau voyou * Météorologie Françoise Sagan * La fourmi et la cigale Gilbert Saint-Pré * Les perles de rose Jean-Pierre Siméon * Comme il est bon d'aimer * Devinettes * L'orange des rêves Jean Tardieu * Conseils donnés par une sorcière * Le dilemme * La môme néant * Récatompilu ou le jeu du poulet Henri Thomas * Le coq * Sonnet du chat Marcelle Vérité * Dame la Lune Paul Verlaine * Dame souris trotte * Impression fausse * Sagesse Boris Vian * Terre-Lune Charles Vildrac * La pomme et l'escargot Paul Vincensini * Toujours et Jamais Gilles Vigneault * Ma maison Chevaux : trois ; oiseau : un 12 points J'ai trois grands chevaux courant dans mon ciel. J'ai un seul petit oiseau, petit, dans mon champ. Trois chevaux de feu broutant les étoiles. Un oiseau petit qui vit d'air du temps. Trois chevaux perdus dans la galaxie. Un petit oiseau qui habite ici. Les chevaux du ciel, c'est un phénomène. Mais l'oiseau d'ici, c'est celui que j'aime. Les chevaux du ciel sont de vrais génies. L'oiseau dans mon champ, c'est lui mon ami. Mais l'oiseau du champ s'envole en plein ciel, rejoint mes chevaux, et je reste seul. J'aimerais bien avoir des ailes. Ça passerait le temps. Ça passerait le ciel. Claude Roy Sagesse 8 points Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. La cloche, dans le ciel qu'on voit, Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte. Mon Dieu, Mon Dieu, la vie est là, Simple et tranquille. Cette paisible rumeur là Vient de la ville. - Qu'as-tu fait., ô toi que voilà, Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ? Paul Verlaine Les comédiens 12 points Les comédiens On dit souvent Ça vend du vent À la sauvette Ils vont De scène en scène et partent en tournée Et dès qu'ils sont vêtus Des habits qu'on leur prête Ils deviennent Jésus Harpagon ou Hamlet Les comédiens Disent les gens Ont bien souvent Des amourettes À force de jouer Ils se prennent au jeu Sans être Roméo On s'éprend de Juliette Juste le temps qu'il faut Pour en souffrir un peu Les comédiens Quand l'âge vient Quittent la scène Et quand il leur advient De vivre de longs jours Sur cour ou sur jardin Tout seuls ils se souviennent De ce fichu métier Qu'ils ont aimé D'amour Jean-Roger Caussimon Le vendeur de murmures 10 points Il était une fois Le vendeur de murmures. Il murmurait la nuit donc à la demande du bout des dents en une étrange litanie les phrases confiées la veille à son oreille et dont il avait la prudence professionnelle d'inscrire les commandes dans des carnets toujours petits et qu'il parfumait tantôt à la lavande tantôt au patchouli C'est qu'il n'avait jamais voulu user lui comme les vendeurs de cris de ces vastes camions d'amplification qui sillonnaient le pays à grand renfort de klaxons néons haut-parleurs et enseignes ce qu'il vendait on l'entendait à peine Philippe Garnier La chevauchée 8 points Certains, quand ils sont en colère, Crient, trépignent, cassent des verres... Moi, je n'ai pas tous ces défauts : Je monte sur mes grands chevaux. Et je galope, et je voltige, Bride abattue, jusqu'au vertige Des étincelles sous leurs fers, Mes chevaux vont un train d'enfer. Je parcours ainsi l'univers, Monts, forêts, campagnes, déserts... Quand mes chevaux sont fatigués, Je rentre à l'écurie - calmé. Jacques Charpentreau Le soir indécis 8 points Le soir vient entre chien et loup, Ombre parmi les ombres grises, Entre policier et filou, Entre mule et cheval de frise. Il arrive entre chèvre et chou, Figue et raisin, verre et carafe, Entre montagne et caoutchouc, Le soir, entre chêne et girafe. Langue de chien et dents de loup, A toutes pattes, à tire-d'aile, Se mélangent dans le ciel flou Chauves-souris et hirondelles. Jacques Charpentreau Balançoire 8 points Quand tu parles bien, tu me berces, Et je m'envole avec ta voix. Les étoiles à la renverse, Je m'élance au ciel, un, deux, trois ! Si tu bégaies, je me balance A petits coups secs, cahoté, Quand tu déclames, la cadence Me fait descendre et remonter. Tu accélères ton effort, Je fais des bonds comme une chèvre. Attention ! Ne crie pas trop fort Je suis suspendu à tes lèvres. Jacques Charpentreau L'air en conserve 8 points Dans une boîte, je rapporte Un peu de l'air de mes vacances Que j'ai enfermé par prudence. Je l'ouvre ! Fermez bien la porte Respirez à fond ! Quelle force ! La campagne en ma boîte enclose Nous redonne l'odeur des roses, Le parfum puissant des écorces, Les arômes de la forêt... Mais couvrez-vous bien, je vous prie, Car la boîte est presque finie : C'est que le fond de l'air est frais. Jacques Charpentreau Les mouches 12 points Les mouches d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois elles sont moins gaies plus lourdes, plus majestueuses, plus graves plus conscientes de leur rareté elles se savent menacées de génocide Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement par centaines, par milliers peut-être sur du papier fait pour les tuer elles allaient s'enfermer par centaines, par milliers peut-être dans des bouteilles de forme spéciale elles patinaient, piétinaient, trépassaient par centaines, par milliers peut-être elles foisonnaient elles vivaient Maintenant elles surveillent leur démarche les mouches d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois. Raymond Queneau Le Loup et l'agneau 20 points La raison du plus fort est toujours la meilleure: Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure ; Un Loup survint à jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. "Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage? Dit cet animal plein de rage ; Tu seras châtié de ta témérité. - Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté Ne se mette pas en colère; Mais plutôt qu'elle considère Que je me vais désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'elle; Et que par conséquent, en aucune façon, je ne puis troubler sa boisson. - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ; Et je sais que de moi tu médis l'an passé. - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né? Reprit l'Agneau, je tête encor ma mère. - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. - Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos bergers et vos chiens. On me l'a dit: il faut que je me venge." Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l'emporte, et puis le mange, Sans autre forme de procès. Jean de La Fontaine Toujours et Jamais 14 points Toujours et Jamais étaient toujours ensemble ne se quittaient jamais. On les rencontrait dans toutes les foires. On les voyait le soir traverser le village sur un tandem. Toujours guidait Jamais pédalait C'est du moins ce qu'on supposait... Ils avaient tous les deux une jolie casquette L'une était noire à carreaux blancs L'autre blanche à carreaux noirs A cela on aurait pu les reconnaître Mais ils passaient toujours le soir et avec la vitesse... Certains d'ailleurs les soupçonnaient Non sans raison peut-être D'échanger certains soirs leur casquette Une autre particularité Aurait dû les distinguer L'un disait toujours bonjour L'autre toujours bonsoir Mais on ne sut jamais Si c'était Toujours qui disait bonjour Ou Jamais qui disait bonsoir Car entre eux ils s'appelaient toujours Monsieur Albert Monsieur Octave. Paul Vincensini Dimanche 8 points Charlotte Fait de la compote. Bertrand Suce des harengs. Cunégonde Se teint en blonde. Epaminondas Cire ses godasses. Thérèse Souffle sur la braise. Léon Peint des potirons. Brigitte S'agite, s'agite. Adhémar Dit qu'il en a marre. La pendule Fabrique des virgules. Et moi dans tout cha? Et moi dans tout cha? Moi, ze ne bouze pas Sur ma langue z'ai un chat. René de Obaldia Ma maison 12 points Quand j'ai chaussé les bottes Qui devaient m'amener à la ville j'ai mis dans ma poche Une vieille maison Où j'avais fait entrer Une jeune fille Il y avait déjà ma mère dans la cuisine En train de servir le saumon Quatre pieds carrés de soleil Sur le plancher lavé Mon père était à travailler Ma sœur à cueillir des framboises Et le voisin d'en face et celui d'en arrière Qui parlaient de beau temps Sur la clôture à quatre lisses Et de l'air propre autour de tout cela Aussitôt arrivé en ville j'ai sorti ma maison de ma poche Et c'était un harmonica Gilles Vigneault Conseils donnés par une sorcière (A voix basse, avec un air épouvanté, à l'oreille du lecteur.) 8 points Retenez-vous de rire dans le petit matin ! N'écoutez pas les arbres qui gardent les chemins Ne dites votre nom à la terre endormie qu'après minuit sonné A la neige, à la pluie ne tendez pas la main N'ouvrez votre fenêtre qu'aux petites planètes que vous connaissez bien Confidence pour confidence vous qui venez me consulter, méfiance, méfiance ! On ne sait pas ce qui peut arriver. Jean Tardieu L'ordinateur et l'éléphant 14 points Parce qu'il perdait la mémoire Un ordinateur alla voir Un éléphant de ses amis - C'est sûr, je vais perdre ma place, Lui dit-il, viens donc avec moi. Puisque jamais ceux de ta race N'oublient rien, tu me souffleras. Pour la paie, on s'arrangera. Ainsi firent les deux compères. Mais l'éléphant était vantard Voilà qu'il raconte ses guerres, Le passage du Saint-Bernard, Hannibal et Jules César... Les ingénieurs en font un drame Ça n'était pas dans le programme Et l'éléphant, l'ordinateur Tous les deux, les voilà chômeurs. De morale je ne vois guère A cette histoire, je l'avoue. Si vous en trouvez une, vous, Portez-la chez le Commissaire; Au bout d'un an, elle est à vous Si personne ne la réclame. Jean Rousselot Je hais les haies 8 points Je hais les haies Qui sont des murs. Je hais les haies Et les mûriers Qui font la haie Le long des murs. Je hais les haies Qui sont de houx. Je hais les haies Qu'elles soient de mûres Qu'elles soient de houx ! Je hais les murs Qu'ils soient en dur Qu'ils soient en mou ! Je hais les haies Qui nous emmurent. Je hais les murs Qui sont en nous. Raymond Devos Liberté 12 points Sur mes cahiers d'écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J'écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J'écris ton nom Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J'écris ton nom Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur l'écho de mon enfance J'écris ton nom Sur les champs sur l'horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J'écris ton nom Et par le pouvoir d'un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. Paul Eluard Si... 10 points Si la sardine avait des ailes, Si Gaston s'appelait Gisèle, Si l'on pleurait lorsque l'on rit, Si le pape habitait Paris, Si l'on mourait avant de naître, Si la porte était la fenêtre, Si l'agneau dévorait le loup, Si les Normands parlaient zoulou, Si la mer Noire était la Manche Et la mer Rouge la mer Blanche, Si le monde était à l'envers, Je marcherais les pieds en l'air, Le jour je garderais la chambre, J'irais à la plage en décembre, Deux et un ne feraient plus trois... Quel ennui ce monde à l'endroit! Jean-Luc Moreau Dame la Lune 10 points Dame la Lune Mange des prunes Avec la peau Et les noyaux. Et C'est pourquoi Quand on la voit, Elle est si ronde, La Lune blonde Mais une nuit Elle maigrit Car la salade La rend malade. Et c'est pourquoi Elle décroît Et n'est plus ronde, La Lune blonde La demi-Lune Fait encore jeune Et de moitié Devient quartier. Et c'est pourquoi Elle décroît, Et n'est plus ronde, La Lune blonde ! Le quart de Lune Mange des prunes Avec la peau Et les noyaux. Et c'est pourquoi La Lune croît Et sera ronde La dame blonde Marcelle Vérité L'escargot matelot 8 points Un escargot fumant sa pipe Portait sa maison sur son dos. C'était un garçon sympathique, Un brave et joyeux escargot. Il avait été matelot Et navigué sur un cargo. Il en avait assez de l'eau Cet ancien marin escargot. Son ami le petit Léon Lui apportait du tabac blond. Et l'escargot fumant sa pipe Évoquait la mer, les tropiques, Et le tour du monde en cargo Qu'il avait fait en escargot, Un escargot fumant la pipe Pour n'être pas mélancolique. Claude Roy Les pommes de lune 8 points Entre Mars et Jupiter Flottait une banderole Messieurs Mesdames Faites des affaires Grande vente réclame De pommes de terre Un cosmonaute qui passait par là Fut tellement surpris qu'il s'arrêta Et voulut mettre pied à terre Mais pas de terre en ce coin-là Et de pommes de terre Pas l'ombre d'une C'est une blague sans doute Dit-il en reprenant sa route Et à midi il se fit Un plat de pommes de lune. Jean Rousselot Le silence est d'or 10 points " Oui, le silence est d'or ", Me dit toujours maman. Et pourquoi pas alors, En fer ou en argent ? Je ne sais pas en quoi Je puis bien être faite : Graine de cacatois M'appelle la préfète. D'accord ! Je suis bavarde. Mais est-ce une raison Pour que l'on me brocarde En classe, à la maison, Et que l'on me répète Et me répète encor A me casser la tête Que le silence est d'or ? Est-ce, ma faute à moi Si j'ai là dans la gorge, Un petit rouge-gorge Qui gazouille de joie ? Maurice Carême C'est tout un art d'être canard 10 points C'est tout un art d'être canard C'est tout un art d'être canard canard marchant canard nageant canards au sol vont dandinant canards sur l'eau vont naviguant être canard c'est absorbant terre ou étang c'est différent canards au sol s'en vont en rang canards sur l'eau, s'en vont ramant être canard ça prend du temps c'est tout un art c'est amusant canards au sol vont cancanant canards sur l'eau sont étonnants il faut savoir marcher, nager courir, plonger dans l'abreuvoir canards le jour sont claironnants canards le soir vont clopinant canards aux champs ou sur l'étang c'est tout un art d'être canard. Claude Roy Impression fausse 12 points Dame souris trotte Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte, Grise dans le noir. On sonne la cloche : Dormez les bons prisonniers, On sonne la cloche : Faut que vous dormiez Pas de mauvais rêve : Ne pensez qu'à vos amours Pas de mauvais rêve : Les belles toujours ! Le grand clair de lune ! On ronfle ferme à côté Le grand clair de lune En réalité ! Un nuage passe, Il fait noir comme en un four, Un nuage passe, Tiens le petit jour ! Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus, Dame souris trotte, Debout, paresseux ! Paul Verlaine Conciliabule 14 points Trois lapins, dans le crépuscule, Tenaient un long conciliabule. Le premier montrait une étoile Qui montait sur un champ d'avoine. Les autres, pattes sur les yeux, La regardaient d'un air curieux. Puis tous trois, tête contre tête, Se parlaient d'une voix inquiète. Se posaient-ils, tout comme nous, Les mêmes questions sans réponse ? D'où venons-nous ? Où allons nous ? Que sommes-nous ? Pourquoi ces ronces Pourquoi dansons-nous le matin, Parmi la rosée et le thym ? Pourquoi avons-nous le cul blanc, Longues oreilles, longues dents ? Pourquoi notre nez tout le temps, Tremble-t-il comme feuille au vent ? Pourquoi l'ombre d'un laboureur Nous fait-elle toujours si peur ? Trois lapins dans le crépuscule Tenaient un long conciliabule. Et il aurait duré longtemps Encore si une grenouille N'avait plongé soudainement Dans l'eau de lune de l'étang. Maurice Carême Iles 6 points Iles Iles où l'on ne prendra jamais terre Iles où l'on ne descendra jamais Iles couvertes de végétation Iles tapies comme des jaguars Iles muettes Iles immobiles Iles inoubliables et sans nom Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous Blaise Cendrars Déménager 6 points Quitter un appartement. Vider les lieux. Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher. Inventorier, ranger, classer, trier. Éliminer, jeter, fourguer. Casser. Brûler. Descendre, desceller, déclouer, décoller, dévisser, décrocher. Débrancher, détacher, couper, tirer, démonter, plier, couper. Rouler. Empaqueter, emballer, sangler, nouer, empiler, rassembler, entasser, ficeler, envelopper, protéger, recouvrir, entourer, serrer. Enlever, porter, soulever. Balayer. Fermer. Partir. Georges Perec Nuit dansante 10 points Quand le hibou joue de la flûte, Le grillon sort son violon, La hulotte prend son luth Et le crapaud son basson. Cela se passe dans le Sud, Non loin du vieux pont d'Avignon, Sur le Rhône, c'est l'habitude De danser ainsi tous en rond. Chats-huants, quels entrechats Grand-duc, aimez-vous le rock ? Mais qui sont donc ces petits rats ? Des surmulots. Ah! quelle époque! Ainsi danse-t-on dans les bois Chaque nuit jusqu'au chant du coq, C'est du moins ce que dit mon chat natif d'Uzès, en Languedoc. Marc Alyn Dit des oiseaux 14 points Tirelire! Tirelire! Dit l'alouette Mais on ne l'a jamais vue mettre Un sou de côté Plus vite! Plus vite ! Dit le merle aux ouvriers Mais lui passe son temps à enfiler des perles De rosée Je n'y crois pas, crois pas, crois pas Dit le corbeau en secouant ses manches Mais tout ce qu'il voit il le mange Faites que tout brille, brille Ordonne la pie Mais jusqu'au crépuscule Elle jouit de la vie Dans son fauteuil à bascule Des couleurs j'ai, des couleurs j'ai! Dit le geai. Mais quand tu veux l'admirer Il a déjà filé. Dis-moi tu, dis-moi tu Dît le moineau dodu Mais dès que tu ouvres la bouche Il s'effarouche Et que dit le serin ? On n'y comprend rien C'est peut-être du latin Jean Rousselot Le relais 12 points En voyage, on s'arrête, on descend de voiture ; Puis entre deux maisons on passe à l'aventure, Des chevaux, de la route et des fouets étourdi, L'œil fatigué de voir et le corps engourdi. Et voici tout à coup, silencieuse et verte, Une vallée humide et de lilas couverte, Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, Et la route et le bruit sont bien vite oubliés ! On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre, De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre, Et sans penser à rien on regarde les cieux. Hélas une voix crie : " En voiture, messieurs!" Gérard de Nerval La cimaise et la fraction 14 points La cimaise ayant chaponné Tout l'éternueur Se tuba fort dépurative Quand la bixacée fut verdie : Pas un sexué pétrographique morio De mouffette ou de verrat. Elle alla crocher frange Chez la fraction sa volcanique La processionnant de lui primer Quelque gramen pour succomber Jusqu'à la salanque nucléaire. " Je vous peinerai, lui discorda-t-elle, Avant l'apanage, folâtrerie d'Annamite ! Interlocutoire et priodonte. " La fraction n'est pas prévisible : C'est là son moléculaire défi. " Que ferriez-vous au tendon cher ? Discorda-t-elle à cette énarthrose. - Nuncupation et joyau à tout vendeur, Je chaponnais, ne vous déploie. -Vous chaponniez ? J'en suis fort alamante. Eh bien ! débagoulez maintenant. " Raymond Queneau Mon général 8 points Mon général, votre tank est si solide Il couche une forêt, il écrase cent hommes Mais il a un défaut : il a besoin d'un mécanicien. Mon général, votre bombardier est si puissant Il vole plus vite que l'éclair et transporte plus qu'un éléphant Mais il a un défaut : il a besoin d'un pilote. Mon général, l'homme est très utile Il sait voler, il sait tuer Mais il a un défaut : il sait penser. Bertolt Brecht Les larmes du crocodile 8 points Si vous passez au bord du Nil Où le délicat crocodile Croque en pleurant la tendre Odile, Emportez un mouchoir de fil. Essuyez les pleurs du reptile Perlant aux pointes de ses cils, Et consolez le crocodile : C'est un animal très civil. Sur les bords du Nil en exil, Pourquoi ce saurien pleure-t-il ? C'est qu'il a les larmes faciles Le crocodile qui croque Odile. Jacques Charpentreau La lessive 8 points Chaque semaine, mes parents, Cinq tantes, dix oncles, vingt nièces, Cent cousins, des petits, des grands, Se pressent dans la même pièce. Dans la machine, ils introduisent Mille corsages et chemises, Cent mille slips et pyjamas, Un million de paires de draps. Nylon, dentelles ou guenilles, Chaque semaine nous avons Cette habitude : nous lavons Notre linge sale en famille. Jacques Charpentreau La recherche 8 points Certains la cherchent dans les airs Parmi les oiseaux des nuages, D'autres dans les fleurs du bocage Ou dans les algues de la mer. Ils s'en vont la chercher en Chine, Dans un temple ancien, à Pékin, Dans les pages d'un vieux bouquin, Dans les secrets d'une machine... Pourquoi remuer la planète ? Moi, comme je t'aime beaucoup, Dans les cheveux blonds de ton cou Je cherche la petite bête. Jacques Charpentreau Le chat et le chant 8 points Sur la scène de l'Opéra, Autour de la grande chanteuse, Dansent en rond les petits rats. La cantatrice est bien heureuse. Elle sait que rien ne viendra Troubler ses harmonieux arpèges, Car la danse des petits rats Des fausses notes la protège. Elle soulève à tour de bras Sa poitrine en soufflet de forge Et prête à lancer sur les rats Le chat qu'elle aurait dans la gorge. Jacques Charpentreau La fuyante 8 points Vous me croyez douce et soumise Mais malgré vos yeux grands ouverts, Moi, je vous échappe à ma guise Et je joue la fille de l'air. Fille de l'air, enfant du songe, Je pars au gré de mon caprice, Sur une brise je m'allonge, Dans un courant d'air je me glisse. Quand je suis lasse, je repose Sur un blanc coussin de nuage, Avec le parfum de la rose Sur l'aile du vent je voyage. Jacques Charpentreau En voyage 8 points Quand vous m'ennuyez, je m'éclipse, Et, loin de votre apocalypse, Je navigue, pour visiter La Mer de la Tranquillité. Vous tempêtez ? Je n'entends rien. Sans bruit, au fond du ciel je glisse. Les étoiles sont mes complices. Je mange un croissant. Je suis bien. Vous pouvez toujours vous fâcher, Je suis si loin de vos rancunes ! Inutile de me chercher : Je suis encore dans la lune. Jacques Charpentreau Au cirque 8 points Au grand cirque de l'Univers, On voit sauter des trapézistes, Des clowns, des jongleurs, des artistes S'envoler à travers les airs. L'écuyère sur ses chevaux Passe du noir au brun, au blanc, Le funambule, sans élan, Droit sur son fil, saute là-haut. Tout saute à s'en rompre le crâne Les lions sur des tambours dorés, Les tigres sur des tabourets... Moi, je saute du coq à l'âne. Jacques Charpentreau Diable ! 8 points Tirer le diable par la queue Au fond d'une pauvre banlieue, C'est courir sans aucun repos, N'avoir que les os sur la peau, Au charivari du ménage, Dîner d'un pain et d'un fromage, Voir s'en aller tables et chaises, Les fauteuils filer à l'anglaise. Il griffe, il mord, il nous entraîne Au feu d'enfer de la déveine, Plus dangereux que Barbe Bleue, Le diable tiré par la queue. Jacques Charpentreau Les beaux métiers 8 points Certains veulent être marins, D'autres ramasseurs de bruyère, Explorateurs de souterrains, Perceurs de trous dans le gruyère, Cosmonautes, ou, pourquoi pas, Goûteurs de tartes à la crème, De chocolat et de babas : Les beaux métiers sont ceux qu'on aime. L'un veut nourrir un petit faon, Apprendre aux singes l'orthographe, Un autre bercer l'éléphant... Moi, je veux peigner la girafe ! Jacques Charpentreau L'île des rêves 8 points Il a mis le veston du père, Les chaussures de la maman Et le pantalon du grand frère Il nage dans ses vêtements. Il nage, il nage à perdre haleine. Il croise des poissons volants, Des thons, des dauphins, des baleines... Que de monde, dans l'océan! Écume blanche et coquillages, Il nage depuis si longtemps Qu'il aborde enfin au rivage Du pays des rêves d'enfants. Jacques Charpentreau Le lutin horloger 8 points Il court, il court, sa montre en main, Par les rues et par les chemins ! Mais qu'est-il en train de chercher De l'hôtel de ville au clocher ? Il retourne les sabliers, Il inspecte les balanciers. Quartz ou ressort, vite il déloge L'oiseau caché dans votre horloge Tic-tac, il avance, il recule Les aiguilles de la pendule. Il court, de demeure en demeure, Chercher midi à quatorze heures. Jacques Charpentreau La clé des champs 8 points On a perdu la clé des champs! Les arbres, libres, se promènent, Le chêne marche en trébuchant, Le sapin boit à la fontaine. Les buissons jouent à chat perché, Les vaches dans les airs s'envolent, La rivière monte au clocher Et les collines cabriolent. J'ai retrouvé la clé des champs Volée par la pie qui jacasse. Et ce soir au soleil couchant J'aurai tout remis à sa place. Jacques Charpentreau Le Corbeau et le Renard 14 points Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : "Hé! bonjour, monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. " A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ; Et pour montrer sa belle voix, Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s'en saisit, et dit : "Mon bon monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l'écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute." Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. Jean de La Fontaine Le Lion et le Rat 14 points Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d'un plus petit que soi. De cette vérité deux fables feront foi ; Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un Lion Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie. Le roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu'il étoit, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu'un lion d'un rat eût affaire ? Cependant il advint qu'au sortir des forêts Ce Lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. Jean de La Fontaine La Cigale et la Fourmi 12 points La Cigale, ayant chanté Tout l'été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu'à la saison nouvelle. "Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l'oût, foi d'animal, Intérêt et principal." La Fourmi n'est pas prêteuse ; C'est là son moindre défaut. "Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. - Nuit et jour à tout venant je chantais, ne vous déplaise. - Vous chantiez ? j'en suis fort aise : Eh bien! dansez maintenant." Jean de La Fontaine La fourmi et la cigale 12 points La fourmi ayant stocké Tout l'hiver Se trouva fort encombrée Quand le soleil fut venu : Qui lui prendrait ses morceaux De mouches ou de vermisseaux ? Elle tenta de démarcher Chez la cigale, sa voisine, La poussant à s'acheter Quelques grains pour subsister Jusqu'à la saison prochaine. " Vous me paierez, lui dit-elle, Après l'oût, foi d'animal, Intérêt et principal. " La cigale n'est pas gourmande : C'est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps froid ? Dit-elle à cette amasseuse. - Nuit et jour à tout venant Je stockais, ne vous déplaise. - Vous stockiez ? j'en suis fort aise ; Et bien soldez maintenant. " Françoise Sagan Pour faire le portrait d'un oiseau 24 points Peindre d'abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau quelque chose d'utile pour l'oiseau placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin dans un bois ou dans une forêt se cacher derrière l'arbre sans rien dire sans bouger ... Parfois l'oiseau arrive vite mais il peut aussi bien mettre de longues années avant de se décider Ne pas se décourager attendre attendre s'il le faut pendant des années la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau n'ayant aucun rapport avec la réussite du tableau Quand l'oiseau arrive s'il arrive observer le plus profond silence attendre que l'oiseau entre dans la cage et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau puis effacer un à un tous les barreaux en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau Faire ensuite le portrait de l'arbre en choisissant la plus belle de ses branches pour l'oiseau peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent la poussière du soleil et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter Si l'oiseau ne chante pas c'est mauvais signe signe que le tableau est mauvais mais s'il chante c'est bon signe signe que vous pouvez signer Alors vous arrachez tout doucement une des plumes de l'oiseau et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau. Jacques Prévert Le hareng saur 18 points Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu, Contre le mur une échelle- haute, haute, haute, Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec. Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales, Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu Un peloton de ficelle - gros, gros, gros. Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute, Et plante le clou pointu - toc, toc, toc, Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu. Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe, Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue, Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec. Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute, L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd, Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin. Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec, Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue, Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours. J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple, Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves, Et amuser les enfants - petits, petits, petits. Charles Cros Chanson de la Seine 6 points La Seine a de la chance elle n'a pas de soucis elle se la coule douce le jour comme la nuit et elle sort de sa source tout doucement sans bruit et sans faire de mousse sans sortir de son lit elle s'en va vers la mer en passant par Paris Jacques Prévert Les animaux du zodiaque 10 points Quand ils ont quitté les baraques Du soleil, leur patient berger, Les animaux du zodiaque Vont boire dans la voie lactée. Puis ils s'égaillent dans les prés Du ciel plein des graminées pâles En croquant parfois une étoile Qui éclate en grains de clarté. Il arrive aussi que la Vierge Leur tende en riant son épi Et leur montre, ourlé de lumière, Le grand portail du paradis. Mais dès que le fouet de l'aurore S'en vient claquer au-dessus d'eux, Bélier, Taureau et Capricorne Font tourner la roue d'or des cieux. Maurice Carême Le cheval 8 points Et le cheval longea ma page. Il était seul, sans cavalier, Mais je venais de dessiner Une mer immense et sa plage. Comment aurais-je pu savoir D'où il venait, où il allait ? Il était grand, il était noir, Il ombrait ce que j'écrivais. J'aurais pourtant dû deviner Qu'il ne fallait pas l'appeler. Il tourna lentement la tête Et, comme s'il avait eu peur Que je lise en son coeur de bête, Il redevint simple blancheur. Maurice Carême L'oiseau bleu 10 points Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu Sa tête est d'un vert mordoré Il a une tache noire sous la gorge Ses ailes sont bleues avec des touffes de petites plumes jaune doré Au bout de la queue il y a des traces de vermillon Son dos est zébré de noir et de vert Il a le bec noir les pattes incarnat et deux petits yeux de jais Il adore faire trempette, se nourrit de bananes et pousse Un cri qui ressemble au sifflement d'un tout petit jet de vapeur. On le nomme le septicolore. Blaise Cendrars Les trois noisettes 10 points Trois noisettes dans le bois Tout au bout d'une brindille Dansaient la capucine vivement au vent En virant ainsi que filles De roi. Un escargot vint à passer : "Mon beau monsieur, emmenez-moi Dans votre carrosse, Je serai votre fiancée" Disaient-elles toutes trois. Mais le vieux sire sourd et fatigué, Le sire aux quatre cornes sous les feuilles Ne s'est point arrêté, Et, c'est l'ogre de la forêt, je crois, C'est le jeune ogre rouge, gourmand et fûté, Monseigneur l'écureuil, Qui les a croquées Tristan Klingsor Les perles de rose 8 points Si tu veux inventer un collier, Tiens, voici comment procéder. De bon matin, te réveiller, Dans les rosiers, te promener. Tu verras des perles de rosée, Sur les roses elles sont accrochées. Une bonne poignée tu cueilleras, Dans une boîte tu les rangeras. Un cheveu d'or pour les assembler, Un tout petit nœud pas trop serré, Ainsi tu auras un joli collier, Aussi souple que celui d'une fée. Gilbert Saint-Pré Ulysse 8 points - Ulysse, Ulysse, arrête-toi, Écoute la voix des sirènes Plonge, va trouver notre reine, Dans son palais, deviens le roi Mais Ulysse préfère au toit Des vagues celui des nuages, Dans la direction d'Ithaque Son regard reste fixé droit Et les filles aux longs cheveux Ont beau nager dans son sillage, Il demeure sourd, il ne veut Que la chanson, que le visage Conservé au fond de ses yeux, De Pénélope toujours sage. Louis Guillaume Météorologie 10 points L'oiseau vêtu de noir et vert m'a apporté un papier vert qui prévoit le temps qu'il va faire. Le printemps a de belles manières. L'oiseau vêtu de noir et de blond m'a apporté un papier blond qui fait bourdonner les frelons. L'été sera brûlant et long. L'oiseau vêtu de noir et et jaune m'a apporté un papier jaune qui sent la forêt en automne. L'oiseau vêtu de noir et blanc m'a apporté un flocon blanc. L'oiseau du temps que m'apportera-t-il ? Claude Roy L'enfant qui battait la campagne 10 points Vous me copierez deux cents fois le verbe: Je n'écoute pas. Je bats la campagne. Je bats la campagne, tu bats la campagne, Il bat la campagne à coups de bâton. La campagne ? Pourquoi la battre ? Elle ne m'a jamais rien fait. C'est ma seule amie, la campagne, Je baye aux corneilles, je cours la campagne. Il ne faut jamais battre la campagne : on pourrait casser un nid et ses oeufs. On pourrait briser un iris, une herbe, On pourrait fêler le cristal de l'eau. Je n'écouterai pas la leçon. Je ne battrai pas la campagne. Claude Roy Le cosmonaute et son hôte 12 points Sur une planète inconnue, un cosmonaute rencontra un étrange animal; il avait le poil ras, une tête trois fois cornue, trois yeux, trois pattes et trois bras ! " Est-il vilain! pensa le cosmonaute en s'approchant prudemment de son hôte. Son teint a la couleur d'une vieille échalote, son nez a l'air d'une carotte. Est-ce un ruminant? Un rongeur? " Soudain, une vive rougeur colora plus encor le visage tricorne. Une surprise sans bornes fit chavirer ses trois yeux. << Quoi! Rêvé-je? dit-il. D'où nous vient, justes cieux, ce personnage si bizarre sans crier gare ! Il n'a que deux mains et deux pieds, il n'est pas tout à fait entier. Regardez comme. il a l'air bête, il n'a que deux yeux dans la tête ! Sans cornes, comme il a l'air sot ! " C'était du voyageur arrivé de la Terre que parlait l'être planétaire. Se croyant seul parfait et digne du pinceau, il trouvait au Terrien un bien vilain museau. Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête est de toutes la plus parfaite! Pierre Gamarra Mon petit lapin 6 points Mon petit lapin N'a plus de chagrin Depuis le matin, Il fait de grands sauts au fond du jardin. Mon petit lapin N'a plus de chagrin Il parle aux oiseaux Et il rit tout haut Dans l'ache et le thym Mon petit lapin N'a plus de chagrin Le voisin d'en face A vendu ses chiens, Ses trois chiens de chasse. Maurice Carême Terre-Lune 8 points Terre Lune, Terre Lune Ce soir j'ai mis mes ailes d'or Dans le ciel comme un météore Je pars Terre Lune, Terre Lune J'ai quitté ma vieille atmosphère J'ai laissé les morts et les guerres Au revoir Dans le ciel piqué de planètes Tout seul sur une lune vide Je rirai du monde stupide Et des hommes qui font les bêtes Terre Lune, Terre Lune Adieu ma ville, adieu mon cœur Globe tout perclus de douleurs Bonsoir. Boris Vian Le pélican 8 points Le capitaine Jonathan, Etant âgé de dix-huit ans, Capture un jour un pélican Dans une île d'Extrême-Orient. Le pélican de Jonathan, Au matin, pond un oeuf tout blanc Et il en sort un pélican Lui ressemblant étonnamment. Et ce deuxième pélican Pond, à son tour, un oeuf tout blanc D'ou sort, inévitablement, Un autre qui en fait autant. Cela peut durer très longtemps Si l'on ne fait pas d'omelette avant. Robert Desnos C'est la Toussaint 10 points C'est la Toussaint Le ciel est gris comme demain Et lourd comme les chrysanthèmes. Le vent Rougit le nez des gens Glace leurs pieds Glace leurs mains: C'est la Toussaint. Des feuilles mortes Que la brise emporte Bouchent les portes. Dans les maisons le feu chante A son diapason Sa chanson. Mais le froid entre quand même Par les fentes des croisées : Il faut geler. Alors Dedans comme dehors le froid mord. Et les gens moroses Se plaignent des choses De l'hiver qui vient: C'est la Toussaint... Clod'Aria Clown 12 points Je suis le vieux Tourneboule Ma main est bleue d'avoir gratté le ciel Je suis Barnum je fais des tours Assis sur le trapèze qui voltige Aux petits, je raconte des histoires Qui dansent au fond de leurs prunelles Si vous savez vous servir de vos mains Vous attrapez la lune Ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas la prendre Moi je conduis des rivières j'ouvre les doigts elles coulent à travers Dans la nuit Et tous les oiseaux viennent y boire sans bruit Les parents redoutent ma présence Mais les enfants s'échappent le soir Pour venir me voir Et mon grand nez de buveur d'étoiles Luit comme un miroir. Werner Renfer La Fenêtre 12 points Pour les autres, pour les passants, tu es simplement la fenêtre. Pour moi qui t'aime du dedans tu es ma plus profonde fête. Celle qui accroît le regard et limite chaque nuage, la gardienne du paysage où je viens me perdre le soir. J'ai le monde sous mes paupières mon front à ta vitre appuyé et tu es glissante lisière sur le bord de l'illimité. Reste ma sœur très patiente, fais-moi l'aumône d'un oiseau, redis-moi les paroles lentes de cet horizon sans défaut. Et posée entre ciel et terre sois ce chemin aérien près duquel doucement je viens apaiser ma faim de lumière. Anne-Marie Kegels Divertissement 10 points Trois musiciens dans une clairière Jouent au milieu des ronciers rouillés Pour les passants nocturnes qui errent Sans parvenir à s'ensommeiller. Ils célèbrent d'infimes offrandes A l'adresse des germes éclos, Ou des fougères qui se détendent, Ou du vol vespéral des corbeaux. Trois musiciens dans une clairière En habit de velours, avec des violons, Enseignent la cérémonie Des instants de grâce de la terre Non par des mots chargés de passion, Mais la vraie musique de fête de la vie. Patrice de la Tour du Pin Le cerf-volant 10 points Soulevé par les vents Jusqu'aux plus haut des cieux, Un cerf-volant plein de superbe Vit, qui dansait au ras de l'herbe, Un petit papillon, tout vif et tout joyeux. - Holà ! minable animalcule, cria du zénith l'orgueilleux, Ne crains-tu pas le ridicule ? Pour te voir, il faut de bons yeux Tu rampes comme un ver... Moi je grimpe je grimpe Jusqu'à l'Olympe, Séjour des dieux. - C'est vrai, dit l'autre avec souplesse, Mais moi, libre, à mon gré, je peux voler partout, Tandis que toi, pauvre toutou, Un enfant te promène en laisse. Jean-Luc Moreau La leçon de choses 8 points Venez poussins Asseyez-vous Je vais vous instruire Sur l'œuf Dont tous Vous venez, poussins. L'oeuf est rond Mais pas tout à fait Il serait plutôt ovoïde avec une carapace et vous en venez tous, poussins Il est blanc pour votre race crème ou même orangé avec parfois collé un brin de paille mais ça c'est un supplément A l'intérieur il y a Mais pour y voir il faut le casser et alors d'où -vous, poussins - sortiriez ? Raymond Queneau Une graine voyageait 8 points Une graine voyageait toute seule pour voir le pays. Elle jugeait les hommes et les choses. Un jour elle trouva joli le vallon et agréables quelques cabanes. Elle s'est endormie. Pendant qu'elle rêvait elle est devenue brindille et la brindille a grandi, puis elle s'est couverte de bourgeons. Les bourgeons ont donné des branches. Tu vois ce chêne puissant c'est lui, si beau, si majestueux, cette graine, Oui mais le chêne ne peut pas voyager. Alain Bosquet L'oiseau du Colorado 10 points L'oiseau du Colorado Mange du miel et des gâteaux Du chocolat et des mandarines Des dragées des nougatines Des framboises des roudoudous De la glace et du caramel mou. L'oiseau du Colorado Boit du champagne et du sirop Suc de fraise et lait d'autruche Jus d'ananas glacé en cruche Sang de pêche et navet Whisky menthe et café. L'oiseau du Colorado Dans un grand lit fait dodo Puis il s'envole dans les nuages Pour regarder les images Et jouer un bon moment Avec la pluie et le beau temps. Robert Desnos J'ai vu... 12 points J'ai appelé le terrassier il marchait à cloche-pied j'ai appelé le moissonneur il jurait comme un voleur j'ai appelé le cordonnier il jetait tous ses souliers alors je m'en suis allée j'ai vu des hannetons tâtonnant en rond j'ai vu des limaces faire la grimace j'ai vu une libellule très crédule puis me penchant encore j'ai vu un chou-fleur chercher l'heure j'ai vu un artichaut qui rêvait d'être au chaud chemin faisant j'ai vu un lampadaire le nez en l'air j'ai vu un vélo près de l'eau j'ai vu un canard en retard j'ai vu un lapin jouer au crincrin puis j'ai vu des gens mécontents car ils ne voyaient rien Huguette Amundsen Le premier vol de l'hirondelle 8 points Mes ciseaux à peine aiguisés Coupent le ciel qui se déplace. Une brasse. Encore une brasse. Dans l'ouverture de la nasse - Bon hirondeau chasse de race - Un moustique s'est enfourné. Ce petit nid où je suis né Comme il s'éloigne dans l'espace ! A tire-ligne d'hirondelle C'est un nom nouveau que j'écris Et je l'écris à tire-d'aile Et je l'écris à tire-cri Pierre Menanteau Les corridors où dort Anne qu'on adore 10 points La petite Anne, quand elle dort, Où s'en va-t-elle ? Est-elle dedans, est-elle dehors, Et que fait-elle ? Pendant la récré du sommeil, A pas de loup, Entre la Terre et le soleil, Anne est partout. Les pieds nus et à tire-d'aile Anne va faire Les quatre cent coups dans le ciel Anne s'affaire. La petite Anne, quand elle dort, Qui donc est-elle ? Qui dort ? Qui court par-dessus bord ? Une autre, et elle. L'autre dort et a des ailes, Anne dans son lit, Anne dans le ciel. Claude Roy Le petit grillon 10 points Le petit grillon qui garde la montagne A bien du mérite croyez-moi Quand de partout Coucous et hiboux font ou Coucou coucou ou ouh ouh ouh ouh A d'autres coucous ou d'autres hiboux qui font à tout coup ou coucou coucou ou ouh ouh ouh ouh Toute toute toute la nuit Le petit grillon vaillant a bien du mérite Et qu'est-ce qui le retient Dites-le moi Messieurs De se croiser les bras et de dormir longtemps Sa tête Entre ses deux yeux. Paul Vincensini Cavalcade 8 points Un cheval de lune Courait sur le sable Un poulain d'écume Trottait sur la grève, Au trot, au trot, au galop. Un cheval d'ivoire Courait dans le soir, Un cavalier rouge Traversait l'automne, Au trot, au trot, au galop. Un cheval de pluie Courait dans la nuit Un coursier de verre Labourait la mer, Au trot, au trot, au galop. Et tous les enfants Poursuivaient en rêve Toutes ces crinières Libres dans le vent, Au trot, au trot, au galop. Louis Guillaume Le coq 8 points Je vais fabriquer un coq de clocher, Il sera tout noir au soleil couché, Il sera tout blanc au soleil levant Et d'argent brillant à midi tapant. Vous ai-je assez dit que je vous aimais! Mon coq de clocher ne parle jamais. A Londres, Paris, vous ai-je attendue! Lui, ne commet pas la moindre bévue. J'ai perdu le Nord, il me le rendra, Nous irons ensemble où ça nous plaira. Henri Thomas Une poule sur un mur 8 points Une poule sur un mur A pondu quatorze oeufs frais Mais pendant qu'elle pondait, Le soleil d'août les cuisait. Un poule sur un mur A couvé quatorze oeufs durs. Il en sortit des poulets Aussi durs que des galets. C'est depuis lors que l'on voit Folle encor de désarroi, Une poule sur un mur Qui picote du pain dur. C'est depuis lors que l'on voit Picoti et picota Une poule qui cent fois Grimpe au mur et saute en bas. Maurice Carême Sonnet du chat 8 points Le chat lutte avec une abeille autour de sa fourrure, je vois l'azur de ses merveilles, un arbre, une mâture. La mer apporte à mon oreille le bruit des aventures que nous vivons si tu t'éveilles témérité future. Je me consacre aux vertes îles, favorables au sage qui sait trouver un dieu tranquille entre palme et rivage. Le chat s'en va, brillant et beau, pour guetter les oiseaux. Henri Thomas Déjeuner du matin 14 points Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s'est levé Il a mis Son chapeau sur la tête Il a mis son manteau de pluie Parce qu'il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j'ai pris Ma tête dans ma main Et j'ai pleuré. Jacques Prévert L'oiseau voyou 10 points Le chat qui marche l'air de rien voulait se mettre sous la dent l'oiseau qui vit de l'air du temps oiseau voyou oiseau vaurien Mais plus futé l'oiseau lanlaire n'a pas sa langue dans sa poche et siffle clair comme eau de roche un petit air entre deux airs. Un petit air pour changer d'air et s'en aller voir du pays un petit air qu'il a appris à force de voler en l'air Faisant celui qui n'a pas l'air le chat prend l'air indifférent. L'oiseau s'estime bien content et se déguise en courant d'air. Claude Roy Chanson pour les enfants de l'hiver 12 points Dans la nuit de l'hiver galope un grand homme blanc galope un grand homme blanc C'est un bonhomme de neige avec une pipe en bois un grand bonhomme de neige poursuivi par le froid Il arrive au village il arrive au village voyant de la lumière le voilà rassuré Dans une petite maison il entre sans frapper Dans une petite maison il entre sans frapper et pour se réchauffer et pour se réchauffer s'asseoit sur le poêle rouge et d'un coup disparaît ne laissant que sa pipe au milieu d'une flaque d'eau ne laissant que sa pipe et puis son vieux chapeau. Jacques Prévert L'albatros 18 points Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boîtant, l'infirme qui volait ! Le poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Charles Baudelaire Avant-printemps 6 points Des oeufs dans la haie Fleurit l'aubépin Voici le retour Des marchands forains. Et qu'un gai soleil Pailleté d'or fin Eveille les bois Du pays voisin ! Est-ce le printemps Qui cherche son nid Sur la haute branche Où niche la pie ? C'est mon coeur marqué Par d'anciennes pluies Et ce lent cortège D'aubes qui le suit. René-Guy Cadou A vol d'oiseau 8 points Où va-t-il, l'oiseau sur la mer ? Il vole, il vole... A-t-il au moins une boussole ? Si un coup de vent Lui rabat les ailes, Il tombera dans l'eau Et ne sait pas nager. Et que va-t-il manger? Et si ses forces l'abandonnent, Qui le secourra ? Personne. Pourvu qu'il aperçoive à temps Une petite crique ! C'est tellement loin, l'Amérique... Michel Luneau La clef des champs 12 points Qui a volé la clef des champs ? La pie voleuse ou le geai bleu ? Qui a perdu la clef des champs ? La marmotte ou le hoche-queue ? Qui a trouvé la clef des champs ? Le lièvre vert ? Le renard roux ? Qui a gardé la clef des champs ? Le chat, la belette ou le loup ? Qui a rangé la clef des champs ? La couleuvre ou le hérisson ? Qui a paumé la clef des champs ? La musaraigne ou le pinson ? Qui a mangé la clef des champs ? Ce n'est pas moi. Ce n'est pas vous. Elle est à personne et partout, La clé des champs, la clef de tout. Claude Roy La licorne 10 points La licorne ne peut être capturée qu'entre les genoux d'une demoiselle son oeil est une pierre précieuse qu'on nomme escarboucle et qui est tendre L'escarboucle est une pierre précieuse tendre et rare dans l'oeil de la licorne d'où tombe une larme qui mouille la robe de la demoiselle qui vient de l'emprisonner Cela se passe dans un pré au milieu du Moyen Age les nuages sont des coussins d'où descendent des épées d'or ce sont les regards du soleil qui regarde la capture de la licorne. Jacques Roubaud La môme néant 6 points Quoi qu'a dit ? - A dit rin. Quoi qu'a fait ? - A fait rin. A quoi qu'a pense ? - A pense à rin. Pourquoi qu'a dit rin ? Pourquoi qu'a fait rin ? Pourquoi qu'a pense à rin ? - A'xiste pas. Jean Tardieu Le chou 10 points Un chou se prenant pour un chat léchant son museau moustachu, sa bedaine de pacha, à ses feuilles s'arracha, pour prouver que sous son poncho couleur d'artichaut, son pelage était doux et chaud, sa queue de soie, sa robe blanche. En miaulant à belle voix, le chou se percha sur un toit, puis dansa le chachacha de branche en branche. Or, le chou n'était pas un chat aux pattes de caoutchouc, sur la ramure il trébucha et c'est ainsi que le chou chût fâcheusement et cacha sa piteuse mésaventure dans un gros tas d'épluchures. Charles Dobzynski Le dilemme 6 points J'ai vu des barreaux je m'y suis heurté c'était l'esprit pur. J'ai vu des poireaux je les ai mangés c'était la nature. Pas plus avancé ! Toujours des barreaux toujours des poireaux ! Ah ! si je pouvais laisser les poireaux derrière les barreaux la clé sous la porte et partir ailleurs parler d'autre chose ! Jean Tardieu Le coeur trop petit 12 points Quand je serai grand Dit le petit vent J'abattrai La forêt Et donnerai du bois A tous ceux qui ont froid. Quand je serai grand Dit le petit vent Je nourrirai tous ceux Qui ont le ventre creux. Là-dessus s'en vient La petite pluie Qui n'a l'air de rien Abattre le vent Détremper le pain Et tout comme avant Les pauvres ont froid Les pauvres ont faim. Mais mon histoire N'est pas à croire : Si le pain manque et s'il fait froid sur terre Ce n'est pas la faute à la pluie Mais à l'homme, ce dromadaire Qu'à le coeur beaucoup trop petit. Jean Rousselot Le rat 8 points Un rat d'eau va d'un radeau bas au ras dos pouah ! d'un boa. Le rat bat, beau à Rabat l'eau et rabat oh ! son chapeau Le rat beau a un rabot d'bois, d'or à beau poids oh là là ! Le rat, gars, aux airs Agha sots d'un raga faux fait cadeau ! Christian Laucou Le roi lion 8 points Faut pas confondre les bestiaux avec les petites bestioles ça irrite le campagnol quand on le prend pour un taureau Faut pas confondre les zoziaux avec les personnes avicoles ça rend la perruche folle quand on l'assimile au corbeau Mais le li-on le Roi li-on ne craint pas ces confusions De sa rugissante crinière il éparpille les éléphants pour la grande joie des enfants de la Metro-Goldwyn-Mayer. Jacques Roubaud Le globe 10 points Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée. Donnons-leur afin qu'ils en jouent comme d'un ballon multicolore Pour qu'ils jouent en chantant parmi les étoiles. Offrons le globe aux enfants, Donnons-leur comme une pomme énorme Comme une boule de pain toute chaude, Qu'une journée au moins ils puissent manger à leur faim. Offrons le globe aux enfants, Qu'une journée au moins le globe apprenne la camaraderie, Les enfants prendront de nos mains le globe Ils y planteront des arbres immortels. Nazim Hikmet Le Laboureur et ses enfants 14 points Travaillez, prenez de la peine : C'est le fonds qui manque le moins. Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût. Creusez, fouiller, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. Le père mort, les fils vous retournent le champ Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort Que le travail est un trésor. Jean de La Fontaine Les Djinns 50 points Murs, villes, Et port, Asile De mort, Mer grise Où brise La brise, Tout dort. Dans la plaine Naît un bruit. C'est l'haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu'une flamme Toujours suit ! La voix plus haute Semble un grelot. D'un nain qui saute C'est le galop. Il fuit, s'élance. Puis en cadence Sur un pied danse Au bout d'un flot. La rumeur approche. L'écho la redit. C'est comme la cloche D'un couvent maudit ; Comme un bruit de foule Qui tonne et qui roule, Et tantôt s'écroule, Et tantôt grandit. Dieu ! La voix sépulcrale Des Djinns !...Quel bruit ils font ! Fuyons sous la spirale De l'escalier profond. Déjà s'éteint ma lampe, Et l'ombre de ma rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu'au plafond. C'est l'essaim des Djinns qui passe, Et tourbillonne en sifflant ! Les ifs, que leur vole fracasse, Craquent comme un pin brûlant. Leur troupeau lourd et rapide, Volant dans l'espace vide, Semble un nuage livide Qui porte un éclair au flanc. Ils sont tout près ! - Tenons fermée Cette salle, où nous les narguons. Quel bruit dehors ! Hideuse armée De vampires et de dragons ! La poutre du toit descellée Ploie ainsi qu'une herbe mouillée, Et la vieille porte rouillée Tremble, à déraciner ses gonds ! Cris de l'enfer ! Voix qui hurle et qui pleure! L'horrible essaim, poussé par l'aquilon, Sans doute, ô ciel ! S'abat sur ma demeure. Le mur fléchit sous le noir bataillon. La maison crie et chancelle penchée, Et l'on dirait que, du sol arrachée, Ainsi qu'il chasse une feuille séchée, Le vent la roule avec leur tourbillon ! Prophète ! Si ta main me sauve De ces impurs démons des soirs, J'irai prosterner mon front chauve Devant tes encensoirs ! Fais que sur ces portes fidèles Meure leur souffle d'étincelles, Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes Grince et crie à ses vitraux noirs ! Ils sont passés ! - leur cohorte S'envole et fuit, et leurs pieds Cessent de battre ma porte De leur coups multipliés. L'air est plein d'un bruit de chaînes, et dans les forêts prochaines Frissonnent tous les grands chênes, Sous leur vol de feu pliés ! De leurs ailes lointaines Le battement décroît, Si confus dans les plaines, Si faible, que l'on croit Ouïr la sauterelle Crier d'une voix grêle, Ou pétiller la grêle Sur le plomb d'un vieux toit. D'étranges syllabes Nous viennent encor ; Ainsi, des Arabes Quand sonne le cor, Un chant sur la grève Par instant s'élève, Et l'enfant qui rêve Fait des rêves d'or. Les Djinns funèbres, Fils du trépas, Dans les ténèbres Pressent leur pas ; Leur essaim gronde : Ainsi, profonde, Murmure une onde Qu'on ne voit pas. Ce bruit vague Qui s'endort, C'est la vague Sur le bord ; C'est la plainte Presque éteinte D'une sainte Pour un mort. On doute La nuit... J'écoute : Tout fuit, Tout passe ; L'espace Efface Le bruit. Victor Hugo Les hiboux 10 points Ce sont les mères de hiboux Qui désiraient chercher les poux De leurs enfants, leurs petits choux, En les tenant sur leurs genoux. Leurs yeux d'or valent des bijoux Leur bec est dur comme cailloux, Ils sont doux comme des joujoux, Mais aux hiboux, point de genoux ! Votre histoire se passait où ? Chez les Zoulous ? Les Andalous ? Ou dans la cabane bambou ? A Moscou ? Ou à Tombouctou ? En Anjou ou dans le Poitou ? Au Pérou ou chez les Mandchous ? Hou ! Hou ! Pas du tout, c'était chez les fous. Robert Desnos J'écris 10 points J'écris des mots bizarres J'écris des longues histoires J'écris juste pour rire Des choses qui ne veulent rien dire. Ecrire c'est jouer J'écris le soleil J'écris les étoiles J'invente des merveilles Et des bateaux à voiles. Ecrire c'est rêver J'écris pour toi J'écris pour moi J'écris pour ceux qui liront Et pour ceux qui ne liront pas. Ecrire c'est aimer J'écris pour ceux d'ici Ou pour ceux qui sont loin Pour les gens d'aujourd'hui Et pour ceux de demain. Ecrire c'est vivre. Geneviève Rousseau Le dormeur du val 14 points C'est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme : Nature, berce-le chaudement : il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. Arthur Rimbaud Récatonpilu ou le jeu du poulet 6 points Si tu veux apprendre des mots inconnus, récapitulons, récatonpilu. Si tu veux connaître des jeux imprévus, locomotivons, locomotivu. Je suis le renard je cours après toi plus loin que ma vie. Comme tu vas vite ! Si je m'essoufflais ! Si je m'arrêtais ! Jean Tardieu Comme il est bon d'aimer 6 points Il suffit d'un mot Pour prendre le monde Au piège de nos rêves Il suffit d'un geste Pour relever la branche Pour apaiser le vent Il suffit d'un sourire Pour endormir la nuit Délivrer nos visages De leur masque d'ombre Mais cent milliards de poèmes Ne suffirait pas Pour dire Comme il est bon d'aimer Jean-Pierre Siméon Crayons de couleur 6 points Le vert pour les pommes et les prairies, Le jaune pour le soleil et les canaris, Le rouge pour les fraises et le feu, Le noir pour la nuit et les corbeaux Le gris pour les ânes et les nuages, Le bleu pour la mer et le ciel Et toutes les couleurs pour colorier Le monde Chantal Couliou L'orange des rêves 6 points Tu peux perdre le nord comme on dit tu peux perdre patience tu peux perdre ton temps perdre la mémoire et ses chemins aveugles Le sommeil peut glisser comme une truite dans tes mains Tu peux perdre ton sourire Mais ne perds pas ne perds jamais l'orange de tes rêves Jean-Pierre Siméon Devinettes 8 points Qui décoiffe la mer Avec des mains qu'on ne voit pas ? Qui roule sa chanson Dans la gorge des torrents ? Qui n'est jamais si lourd Que quand un oiseau meurt ? Le vent la pierre et le silence Qui est ronde comme une joue Et plus lourde que la peine ? Qui habille le monde Quand il se fait tard ? Qui souffle chaque soir La bougie du soleil ? La pierre le silence et le vent Jean-Pierre Siméon La pomme et l'escargot 14 points Il y avait une pomme A la cime d'un pommier ; Un grand coup de vent d'automne La fit tomber sur le pré ! Pomme, pomme, T'es-tu fait mal ? J'ai le menton en marmelade Le nez fendu Et l'oeil poché ! Elle tomba, quel dommage, Sur un petit escargot Qui s'en allait au village Sa demeure sur le dos A ! Stupide créature Gémit l'animal cornu T'as défoncé ma toiture Et me voici faible et nu. Dans la pomme à demi blette L'escargot, comme un gros ver Rongea, creusa sa chambrette Afin d'y passer l'hiver. Ah ! Mange-moi, dit la pomme, Puisque c'est là mon destin ; Par testament je te nomme Héritier de mes pépins. Tu les mettras dans la terre Vers le mois de février, Il en sortira, j'espère, De jolis petits pommiers. Charles Vildrac Demain, dès l'aube... 12 points Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. Victor Hugo La pluie 14 points La pluie et moi marchions Bons camarades Elle courait devant et derrière moi Et je serrais notre trésor dans mon coeur Elle chantait pour nous cacher Elle chantait pour endormir mon coeur Elle passait sur mon front sa peau mouillée Et humaine ma chère pluie Elle tendait l'oreille Pour savoir si mon chant silencieux était anéanti Elle me met les mains sur les épaules Et court tant haut dans la plaine du ciel Et tant me montre les diamants du soleil Et tant toujours me caresse la peau Et tant toujours me chante dans les os Que je deviens un bon camarade J'entonne une grande chanson Qu'on entend et les cabarets et les oiseaux Disent à notre passage Maintenant Ils chantent tous les deux. Pierre Morhange Le loup et le chien 32 points Un Loup n'avait que les os et la peau, Tant les chiens faisaient bonne garde. Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l'eût fait volontiers ; Mais il fallait livrer bataille, Et le Mâtin était de taille A se défendre hardiment. Le Loup donc l'aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu'il admire. "Il ne tiendra qu'à vous beau sire, D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres, haires, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée : Tout à la pointe de l'épée. Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. " Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ? - Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants ; Flatter ceux du logis, à son Maître complaire : Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons : Os de poulets, os de pigeons, Sans parler de mainte caresse. " Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé. "Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose. - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. - Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ? - Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. " Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor. Jean de La Fontaine Le cancre 10 points Il dit non avec la tête Mais il dit oui avec le coeur Il dit oui à ce qu'il aime Il dit non au professeur Il est debout On le questionne Et tous les problèmes sont posés Soudain le fou rire le prend Et il efface tout Les chiffres et les mots Les dates et les noms Les phrases et les pièges Et malgré les menaces du maître Sous les huées des enfants prodiges Avec des craies de toutes les couleurs Sur le tableau noir du malheur Il dessine le visage du bonheur. Jacques Prévert Le bonheur 14 points Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer. Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite. Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer. Dans l'ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite, dans l'ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer. Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite, sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer. Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite, sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer. De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite, de pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer. Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite. Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé ! Paul Fort Grenouilles 8 points Ne coassons pas Dit crapaud papa Nul coassement Dit crapaud maman Moi pas coasser Dit crapaud jeunet Ils en font du bruit Dit le vieux marquis Vite une corvée Disent les laquais Ça c'est pas marrant Dit le paysan Si j'avais su ça Dit crapaud papa Au lieu de nous taire Dit crapaud mémère Nous aurions chanté Dit crapaud jeunet Raymond Queneau Le renard et la cigogne 22 points Compère le Renard se mit un jour en frais, et retint à dîner commère la Cigogne. Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts : Le galant pour toute besogne, Avait un brouet clair ; il vivait chichement. Ce brouet fut par lui servi sur une assiette : La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ; Et le drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie, A quelque temps de là, la Cigogne le prie. "Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis Je ne fais point cérémonie. " A l'heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse ; Loua très fort la politesse ; Trouva le dîner cuit à point : Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point. Il se réjouissait à l'odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour l'embarrasser, En un vase à long col et d'étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ; Mais le museau du sire était d'autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l'oreille. Trompeurs, c'est pour vous que j'écris : Attendez-vous à la pareille. Jean de La Fontaine Portrait de l'autre 10 points L'Autre : Celui d'en face, ou d'à côté, Qui parle une autre langue Qui a une autre couleur, Et même une autre odeur Si on cherche bien... L'Autre : Celui qui ne porte pas l'uniforme Des bien-élevés, Ni les idées Des bien-pensants, Qui n'a pas peur d'avouer Qu'il a peur... L'Autre : Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous Des-fois-qu'il-irait-les-boire, Celui qui ne lit pas les mêmes bibles, Qui n'apprend pas les mêmes refrains... L'Autre : N'est pas nécessairement menteur, hypocrite, vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche, cynique, grossier, sale, cruel... Puisque, pour Lui, l'AUTRE... C'est Toi Robert Gélis 6 points Araignée du matin: chagrin, pensait un bébé coccinelle cherchant à libérer ses ailes. Araignée du midi: souci grognait un rat dans son chagrin de voir un chat près de sa belle. Araignée du soir: espoir, disait au briquet l'étincelle mourant dans le vent du jardin. Mais l'araignée dans sa nacelle prisonnière à vie de sa faim rêvait qu'elle était hirondelle. Pierre Béarn Le Rat de ville et le Rat des champs 16 points Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D'une façon fort civile, A des reliefs d'Ortolans. Sur un Tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête, Rien ne manquait au festin ; Mais quelqu'un troubla la fête Pendant qu'ils étaient en train. A la porte de la salle Ils entendirent du bruit : Le Rat de ville détale ; Son camarade le suit. Le bruit cesse, on se retire : Rats en campagne aussitôt ; Et le citadin de dire : Achevons tout notre rôt. - C'est assez, dit le rustique ; Demain vous viendrez chez moi : Ce n'est pas que je me pique De tous vos festins de Roi ; Mais rien ne vient m'interrompre : Je mange tout à loisir. Adieu donc ; fi du plaisir Que la crainte peut corrompre. Jean de La Fontaine Devinette 6 points "Je suis brin de bois noirci et travaille jour et nuit. Je soulève-c'est inouï- cent fois mon poids, et sans cric. Du grenier jusqu'au fournil j'engrange des grains de riz. Ne touchez pas à mon nid vous feriez venir la pluie. " C'est ce qu'un soir m'avait dit, quand nous étions entre amis, la fourmi. Michel Beau Caillou 6 points Caillou noir, Pas d'espoir. Caillou rouge, Rien ne bouge. Caillou rond, Pas un rond. Caillou gris, Rien de pris. Caillou vert, On le perd. Caillou rose, Peu de chose. Caillou jaune, On le prône, Caillou blanc, Vif argent. Caillou d'or, Quel trésor ! Caillou bleu, Qui dit mieux ? Moi, moi, moi, Dit le fou: Caillou plat Et sans trou. Maurice Carême Liberté 8 points Prenez du soleil Dans le creux des mains, Un peu de soleil Et partez au loin! Partez dans le vent, Suivez votre rêve ; Partez à l'instant, La jeunesse est brève ! Il est des chemins Inconnus des hommes, Il est des chemins Si aériens ! Ne regrettez pas Ce que vous quittez. Regardez, là-bas, L'horizon briller. Loin, toujours plus loin, Partez en chantant ! Le monde appartient A ceux qui n'ont rien. Maurice Carême Le secret 14 points Sur le chemin près du bois J'ai trouvé tout un trésor: Une coquille de noix Une sauterelle en or Un arc-en-ciel qu'était mort. A personne je n'ai rien dit Dans ma main je les ai pris Et je l'ai tenue fermée Fermée jusqu'à l'étrangler Du lundi au samedi. Le dimanche l'ai rouverte Mais il n'y avait plus rien ! Et j'ai raconté au chien Couché dans sa niche verte Comme j'avais du chagrin. Il m'a dit sans aboyer: " Cette nuit, tu vas rêver. " La nuit, il faisait si noir Que j'ai cru à une histoire Et que tout était perdu. Mais d'un seul coup j'ai bien vu Un navire dans le ciel Traîné par une sauterelle Sur des vagues d'arc-en-ciel ! René de Obaldia L'automne 8 points On voit tout le temps, en automne, Quelque chose qui vous étonne , C'est une branche tout à coup , Qui s'effeuille dans votre cou. C'est un petit arbre tout rouge, Un , d'une autre couleur encor , Et puis partout ,ces feuilles d'or Qui tombent sans que rien ne bouge. Nous aimons bien cette maison, Mais la nuit si tôt va descendre ! Retournons vite à la maison Rôtir nos marrons dans la cendre. Lucie Delarue-Mardrus Complainte du petit cheval blanc 14 points Le petit cheval dans le mauvais temps, qu'il avait donc du courage ! C'était un petit cheval blanc, tous derrière et lui devant. Il n'y avait jamais de beau temps dans ce pauvre paysage. Il n'y avait jamais de printemps ni derrière, ni devant. Mais toujours il était content, menant les gars du village, à travers la pluie noire des champs, tous derrière et lui devant. Sa voiture allait poursuivant sa belle petite queue sauvage. C'est alors qu'il était content, eux derrière et lui devant. Mais un jour, dans le mauvais temps, un jour qu'il était si sage, il est mort par un éclair blanc, tous derrière et lui devant. Il est mort sans voir le beau temps, qu'il avait donc du courage ! Il est mort sans voir le printemps ni derrière ni devant. Paul Fort J'ai vu le menuisier 6 points J'ai vu le menuisier Tirer parti du bois. J'ai vu le menuisier Comparer plusieurs planches. J'ai vu le menuisier Caresser la plus belle. J'ai vu le menuisier Approcher le rabot. J'ai vu le menuisier Donner la juste forme. Tu chantais, menuisier, En assemblant l'armoire. Je garde ton image Avec l'odeur du bois. Moi, j'assemble des mots Et c'est un peu pareil. Eugène Guillevic La biche 8 points La biche brame au clair de lune Et pleure à se fondre les yeux : Son petit faon délicieux A disparu dans la nuit brune. Pour raconter son infortune A la forêt de ses aïeux, La biche brame au clair de lune Et pleure à se fondre les yeux. Mais aucune réponse, aucune, A ses longs appels anxieux ! Et, le cou tendu vers les cieux, Folle d'amour et de rancune, La biche brame au clair de lune. Maurice Rollinat Chanson des escargots qui vont à l'enterrement 22 points A l'enterrement d'une feuille morte Deux escargots s'en vont Ils ont la coquille noire Du crêpe autour des cornes Ils s'en vont dans le noir Un très beau soir d'automne Hélas quand ils arrivent C'est déjà le printemps Les feuilles qui étaient mortes Sont toutes ressuscitées Et les deux escargots Sont très désappointés Mais voilà le soleil Le soleil qui leur dit Prenez prenez la peine La peine de vous asseoir Prenez un verre de bière Si le coeur vous en dit Prenez si ça vous plaît L'autocar pour Paris Il partira ce soir Vous verrez du pays Mais ne prenez pas le deuil C'est moi qui vous le dis Ça noircit le blanc de l'oeil Et puis ça enlaidit Les histoires de cercueils C'est triste et pas joli Reprenez vos couleurs Les couleurs de la vie Alors toutes les bêtes Les arbres et les plantes Se mettent à chanter A chanter à tue-tête La vraie chanson vivante La chanson de l'été Et tout le monde de boire Tout le monde de trinquer C'est un très joli soir Un joli soir d'été Et les deux escargots S'en retournent chez eux Ils s'en vont très émus Ils s'en vont très heureux Comme ils ont beaucoup bu Ils titubent un petit peu Mais là-haut dans le ciel La lune veille sur eux. Jacques Prévert 1