GRANDS
ou
GRAND ?
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Jacques Risso se demandait :

Euh, j'ai une hésitation : dois-je écrire "des bouquins à lire grands ouverts" ou bien "grand ouverts" ?
Grand est-il ici adverbe ("largement ouverts") ou adjectif (on dit bien "une porte grande ouverte") ?

Luc Bentz, très précisément, se donna la peine de lui répondre :


Girodet, qu'on peut ranger parmi les « stricts », écrit (Bordas des pièges et difficultés) :

« Employé adverbialement devant un participe, s'accorde en genre et en nombre : des fenêtres grandes ouvertes, des yeux grands ouverts.
L'invariabilité qu'on rencontre quelque fois est moins conseillée.
»

Le fond est le même chez Jouette. On notera également l'absence de condamnation. Même remarque pour Colin (Robert des difficultés), mais l'orientation est inverse (à propos, spécifiquement, de grand ouvert) :

« Quand l'adjectif a une valeur adverbiale, devant un autre adjectif, il s'accorde en général avec le substantif qui précède [exemples chez Romains et Sartre]. Toutefois, certains écrivains se dispensent de faire varier la forme de l'adjectif, ce qui est logique, puisque l'adverbe est, en français, invariable [autres exemples, chez Duras et Vialar]

Inversement, le Péchoin-Dauphin (Larousse) ne mentionne que l'accord pour « grand ouvert ». C'était déjà la position d'Adolphe Thomas.

Grevisse (B. U., Xe éd., 1975, § 385) écrit pour sa part : « Dans certains cas, le premier adjectif, bien qu'employé adverbialement, s'accorde, suivant un ancien usage, comme le participe passé ou l'adjectif qui le suit. [Suivent des exemples dont « Les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes (Totor), Les deux pages grandes ouvertes (J. Romains), Le blessé aux yeux grands ouverts (Duhamel) », soient trois académiciens auxquels on peut encore ajouter Green.] »

Mais il ajoute en nota bene : « Il n'est pas rare qu'on laisse invariables grand (dans grand ouvert), large (dont large ouvert). »
On ne trouvera pas d'analyse différentes (coexistence des deux usages) dans la 13e éd. du B.U. (1993, Grevisse-Goosse, § 926, b, 4°, p. 1356).

On notera la tendance contemporaine à employer directement les adjectifs qualificatifs avec une valeur adverbiale, sans dérivation en ~[e]ment, peut-être par effet d'ellipse.

Peut-être aussi la disparition des liaisons explique-t-elle cela au masculin, car, au féminin, on ne dirait jamais : une fenêtre grand ouverte, mais bien « grande ouverte ».

Sur grands, qui a donné lieu à d'autres anomalies graphiques, on peut aussi voir la page :
http://www.langue-fr.net/index/G/grand.htm.

Bien cordialement,
Luc Bentz

Luc Bentz est l'auteur d'un excellent site qui nous en apprend beaucoup sur notre langue et ses chausses-trapes :

Site « Langue française » :
http://www.langue-fr.net/
Ouvroir de grammaire potentielle :
http://www.langue-fr.net/ougrapo/ougrapo.htm

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