L'aventure industrielle à Rustrel
D'après les textes de Roger Fenouil publiés dans le Journal de Rustrel.
En 1832, un certain Cottelier participe à la procession traditionnelle vers la chapelle Notre-Dame des Anges. En suivant le chemin dans la montagne, il remarque la présence de minerai de fer qui affleure. Or Cottelier est contremaître à la mine de Lagnes. Il en parle à Gustave Perre, un entrepreneur ambitieux qui a construit le haut-fourneau d'Entraigues où il traite le minerai de Mormoiron. Ce dernier est convaincu qu'il y a de quoi installer en Pays d'Apt une industrie sidérurgique rentable. Gustave Perre entreprend d'acquérir un maximum de terrains dans la région. Il éveille la curiosité de Maître Joachim Gaufridy, un notaire d'Apt, qui se verrait bien lui aussi Maître des Forges. Celui-ci se lance à son tour dans une course aux acquisitions. En 1841 l'Usine du Bas est inaugurée par François Gaufridy, le fils de Joachim, mort quelques temps auparavant. Les autres successeurs ont préféré renoncer à l'héritage... Gustave Perre continue à se démener pour trouver des gisements. Il acquiert les terrains autour de Notre-Dame des Anges, fonde une société en commandite par actions de 4 500 000 F, somme colossale pour l'époque. Mais ses demandes de construction d'un second haut-fourneau dans la région sont refusées par le préfet. Sa société est mise en faillite en 1844, sans que l'usine soit construite. Convaincu de banqueroute frauduleuse, il est envoyé en prison. Ses biens sont rachetés par Dominique Duplantier, un industriel Avignonnais, qui reprend l'idée d'une seconde usine à Rustrel.
En 1845, l'Usine du Bas de Joachim Gaufridy est mise en faillite : les minières des Trécassats qu'il possède s'épuisent ; la fonte, acheminée par charrettes jusqu'à la gare d'Avignon, a un prix de revient trop élevé. La qualité du métal, produit avec du charbon de bois, est inférieure à celle des sidérurgies de Lorraine ou d'Angleterre, qui utilisent du coke. Pauline Jaricot, une riche bourgeoise de Lyon, révoltée par la condition ouvrière, veut <<rendre à l'ouvrier sa dignité d'homme>>. Elle se laisse convaincre par son banquier et ses proches qu'elle trouvera à Rustrel et avec l'aide d'un homme "injustement condamné" comme Gustave Perre, les moyens de réaliser ses nobles intentions. Elle libère Gustave Perre en payant une caution de 5 000 F, et lui confie 700 000 F pour racheter l'Usine du Bas. Gustave Perre l'obtient pour 352 000 F. On ne sait pas où est passée la différence. Dominique Duplantier se portait lui aussi acquéreur. Mauvais perdant, il refusera jusqu'en 1848 que l'Usine du Bas puisse s'approvisionner aux gisements de Notre-Dame des Anges. Gustave Perre fonde une nouvelle société, "Les Forges de Sainte Anne d'Apt", et obtient encore 182 000 F de souscriptions de petits épargnants, confiants dans la renommée de Pauline Jaricot. Gustave Perre est renvoyé en prison en 1846, pour ses agissements antérieurs. Pauline entreprend la réhabilitation de la chapelle de Notre-Dame des Anges. Les ouvriers de l'usine y vont à la messe. L'Usine du Bas doit faire face à de nombreuses difficultés. Trois accidents mortels se produisent : le 1er octobre 1848, M. Mense, l'ingénieur de l'usine, fait une chute mortelle sur le pavé ; le 6 mai 1849 une coulée de fonte en fusion explose et tue deux ouvriers.Une croix de fer dans le village rappelle le drame. L'usine est mise en règlement judiciaire en 1852. Pauline doit 400 000 F à ses créanciers. Elle mourra dix ans plus tard, ruinée, vivant dans une extrême pauvreté, s'efforçant de rembourser jusqu'au bout tous ceux qui lui avaient fait confiance. L'Usine du Bas sera rachetée mais après deux autres faillites, cessera définitivement de fonctionner en 1865.
Dominique Duplantier a ouvert l'Usine du Haut en 1847 avec ses associés. Mais l'économie n'est guère favorable en 1848, le métal anglais exerce une rude concurrence, et après des problèmes de trésorerie, la faillite a lieu en 1852. Les nouveaux propriétaires ne peuvent faire face à leurs engagements, et l'Usine est définitivement adjugée à François Toussaint Roux et François Toussaint Gavot en 1855. L'usine est rénovée, agrandie, et reprend la production de fontes brutes et ouvrées en 1857. En 1861, une aciérie vient s'ajouter à l'est de l'usine. C'est l'époque d'une activité intense à l'Usine du Haut. Elle emploie 160 personnes, sans compter les charbonniers. Rustrel compte 977 habitants, un record inégalé depuis. Nous étions 614 à être recensés en 1999. Mais il n'y a toujours pas de voie ferrée entre Apt et Cavaillon. Une <<locomobile>> à vapeur, tirant un train de wagons de 20 m de long par la route, est mise en service. La production de métaux au charbon de bois se vend mal. L'usine fonctionne épisodiquement jusqu'en 1870. Le 22 décembre 1878, la toiture des hauts-fourneaux s'effondre sous le poids des fortes chutes de neige dans la région.
La montagne garde la trace de cette épopée industrielle. A quoi ressemblerait le paysage aujourd'hui si les exploitations avaient été plus rentables ! |
Page précédente | Chronologie |